Rapport annuel, 2022

Systèmes d’alerte précoce : modéliser la propagation des maladies à transmission vectorielle

Early-warning systems: modeling the spread of vector-borne diseases
Et si l’on pouvait prédire les zones à risque pour les maladies à transmission vectorielle comme on prédit la météo ? En 2022, l’OMSA a confié à l’un de ses Centres collaborateurs, l’IZS-Teramo, la mise au point d’un modèle de prédiction innovant pour la fièvre de la Vallée du Rift en Afrique du Nord. Les chercheurs Annamaria Conte et Paolo Calistri expliquent le projet PROVNA.

Annamaria Conte est directrice de l’unité des statistiques et du système d’information géographique à l’Istituto Zooprofilattico Sperimentale (IZS) dell’Abruzzo e del Molise « G. Caporale » de Teramo.

Paolo Calistri dirige le service d’épidémiologie et de santé publique de l’IZS-Teramo.

Comment les maladies à transmission vectorielle telles que la fièvre de la Vallée du Rift se propagent-elles ?

Paolo Calistri : La fièvre de la Vallée du Rift est une maladie vectorielle qui se transmet via des piqûres de moustiques infectés. La maladie touche les animaux domestiques tels que les buffles, les chameaux, les bovins, les caprins et les ovins. Les animaux sauvages peuvent quant à eux servir de réservoirs du virus dans certaines régions d’Afrique. La maladie peut également toucher les humains. Elle peut se propager par les mouvements d’animaux infectés, mais cette voie de diffusion peut être contrôlée par les réglementations du commerce international. Une autre voie est celle des vecteurs infectés, dans ce cas plusieurs espèces de moustiques identifiées sont capables de transmettre le virus. Inutile de dire qu’il n’existe pas de mesures de contrôle pour empêcher les moustiques de franchir les frontières nationales ! Grâce au vent ou à d’autres mécanismes passifs (à l’intérieur des avions, des cargaisons maritimes, etc.), ils peuvent parcourir de longues distances.

Le projet PROVNA*, lancé dans le cadre de l’initiative de l’OMSA, vise à aider les pays d’Afrique du Nord à cibler leur surveillance sur la fièvre de la Vallée du Rift, en exploitant les données de télédétection et d’observation de la Terre. En aidant les pays d’Afrique du Nord à établir un système d’alerte précoce et à maîtriser la propagation de la fièvre de la Vallée du Rift, nous aidons tout le monde, y compris d’autres régions voisines telles que l’Europe méditerranéenne et le Moyen-Orient.

*« Defining Ecoregions and Prototyping on Earth Observation (EO)-based Vector-borne Disease Surveillance System for North Africa » (Définition des écorégions et prototypage d’un système de surveillance des maladies à transmission vectorielle basé sur l’observation de la Terre pour l’Afrique du Nord)

Quelle est l’utilité des données environnementales et climatiques dans la prévision des mouvements de populations de moustiques ?

Annamaria Conte : Nous cherchons à identifier des écorégions en Afrique du Nord qui présentent des caractéristiques similaires, notamment en termes de température, d’environnement, de végétation et d’humidité du sol. Nous utilisons des données d’observation de la Terre de la NASA et des données à haute résolution du programme européen Copernicus, combinées à des données sur la population animale et l’apparition de la fièvre de la Vallée du Rift, extraites du Système mondial d’information zoosanitaire (WAHIS) et du programme Empres-I de la FAO. Si des moustiques infectés apparaissent dans l’une de ces zones, nous pouvons nous attendre à ce que des zones similaires soient  également à risque d’abriter le virus.


Nous combinons des données spatiotemporelles pour construire un prototype qui devrait être capable de prédire l’emplacement des zones à risque et le moment où le risque peut se matérialiser. Nous prenons en compte les conditions passées de température, de précipitations et de végétation : en observant le passé, nous pouvons prévoir l’avenir.

L’équipe d’Annamaria Conte et de Paolo Calistri à l’IZS-Teramo a déjà conçu avec succès un outil permettant de prévoir les risques de fièvre de West Nile en Italie, une autre maladie à transmission vectorielle, avec un délai de prévision de 15 jours. Le projet PROVNA vise à produire un modèle similaire pour la fièvre de la Vallée du Rift en Afrique du Nord.

Quelles expertises sont nécessaires pour concevoir un tel modèle ?

A. C. : Le groupe que je dirige est composé de mathématiciens, de statisticiens et de géographes. Nous collaborons avec l’équipe de vétérinaires et d’épidémiologistes de Paolo, ce qui constitue un environnement transdisciplinaire parfait. Ensemble, nous identifions les indicateurs les plus pertinents pour chaque maladie à partir des données d’observation de la Terre et nous appliquons des techniques d’apprentissage automatique et d’intelligence artificielle pour cartographier les zones à risque d’infection. Notre premier modèle concernait la propagation de la fièvre de West Nile en Italie : nous avons pu prédire 15 jours à l’avance les zones dans lesquelles les conditions climatiques et environnementales favorables à la propagation du virus étaient les plus susceptibles de se produire. Avec PROVNA, nous développons un modèle similaire pour la fièvre de la Vallée du Rift en Afrique du Nord.

Comment ces informations seront-elles utilisées pour lutter contre les maladies à transmission vectorielle ?

P. C. : Nous ne pouvons pas arrêter les moustiques. Toutefois, si nous savons à l’avance quand et où les moustiques sont le plus susceptibles de se propager et d’infecter le bétail, nous pouvons planifier des campagnes de vaccination et des mesures d’urgence au bon endroit et au bon moment. Le modèle nous sert de système d’alerte précoce efficace, qui peut être associé à un plan d’urgence. Par exemple, les hôpitaux peuvent savoir où et quand la saison des moustiques débutera cette année, et s’y préparer.

vector-borne diseases can spread through mosquitoes
Les températures, le niveau d’humidité du sol, les précipitations… ont des effets considérables et prévisibles sur les populations de moustiques porteurs de maladies à transmission vectorielle. En examinant ces facteurs, il est possible de prédire avec une précision étonnante le risque de propagation d’une maladie à transmission vectorielle à un moment donné, et donc de se préparer.

Le modèle peut-il être adapté à d’autres maladies ?

A. C. : Nous pouvons appliquer une méthodologie similaire à la fièvre de la Vallée du Rift, comme nous l’avons fait pour la fièvre de West Nile, et développer un modèle similaire en utilisant des jeux de données différents. Mais nous devons savoir quelles variables jouent un rôle dans la propagation de la maladie, car chaque maladie à transmission vectorielle présente des vecteurs spécifiques influencés par certains facteurs. Nous examinerons différentes caractéristiques environnementales et climatiques pour repérer différentes espèces de moustiques ou d’autres vecteurs, tels que les tiques. D’où l’importance de travailler de manière transdisciplinaire, avec des épidémiologistes, des entomologistes et des statisticiens.

Comment envisagez-vous de collaborer avec les autorités vétérinaires nationales ?

P. C. : Si tout se passe bien, le modèle sera disponible à l’été 2023. Avec le soutien de l’OMSA, nous avons pris contact avec les Services vétérinaires nationaux des pays d’Afrique du Nord afin d’organiser des sessions de formation et de discuter de la manière dont le modèle peut être amélioré à l’aide de leurs propres données de terrain, par exemple des données entomologiques quantitatives. Plus nous introduirons d’informations dans le modèle, plus il sera précis. Après s’être approprié le modèle, les Services vétérinaires pourront l’utiliser pour mieux cibler la surveillance de la fièvre de la Vallée du Rift et planifier l’utilisation optimale de leurs ressources en cas d’urgence.