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Associer les médias indonésiens dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens

Indonesian Media
En Indonésie, la résistance aux antimicrobiens (RAM) est rarement abordée par les médias en raison d'un déficit de connaissances parmi les journalistes et rédacteurs en chef, ce qui nuit à la diffusion d'informations pourtant jugées essentielles. Face à cette situation, l'OMSA a organisé une formation réunissant plus de 40 représentants des médias dans la ville de Surabaya, en Indonésie.

La RAM est souvent qualifiée de « pandémie silencieuse ». Malgré des conséquences dramatiques sur la santé humaine, animale et environnementale, la résistance aux antimicrobiens reste largement méconnue du grand public. Pour lutter contre la RAM, la sensibilisation et le plaidoyer sont des outils essentiels, car ils permettent de changer les comportements à risque. Dans ce contexte, les professionnels de la santé animale ciblent en priorité des acteurs clés en les informant, les éduquant et en communiquant, ainsi que par des activités de sensibilisation. Les services vétérinaires plaident aussi régulièrement en faveur d’une utilisation responsable des antimicrobiens auprès des éleveurs, vétérinaires et pharmaciens. Cependant, il est plus rare que des informations jugées fiables parviennent jusqu’à un public plus large, c’est-à-dire les consommateurs et les propriétaires d’animaux de compagnie.

Faible visibilité de la RAM dans les médias grand public

En Asie du Sud-Est, les médias communiquent peu sur la RAM. La région est confrontée à une actualité riche en événements avec des sujets préoccupants qui retiennent davantage l’attention, tels que les maladies animales. La peste porcine africaine et la fièvre aphteuse ont de lourdes répercussions sur le commerce international et les économies locales, tandis que la rage est responsable de pertes de vies humaines. Les journalistes peuvent facilement aborder ces sujets en choisissant différents angles pour attirer une large audience. À l’inverse, les conséquences de la RAM ne se produisent pas à la suite d’un événement particulier ou d’une pandémie visible, mais sont plutôt le résultat de modes opératoires inappropriés qui sont courants au sein de différents secteurs, ce qui est perçu comme moins susceptible de rencontrer du succès sur le plan médiatique.


La couverture médiatique est essentielle pour sensibiliser davantage le grand public. Quel que soit le format, les informations de qualité peuvent influencer la perception, les politiques et l’implication des différents acteurs sur une question donnée. En Asie du Sud-Est, les conditions ne sont pas réunies car il est commun pour les journalistes de ne pas pouvoir développer une expertise sur des questions complexes telles que la RAM, en raison principalement de contraintes de temps. Ils font aussi face à des choix éditoriaux portant sur des sujets très différents, ce qui n’incite pas à effectuer des recherches sur la RAM.

Combler le manque de connaissances des médias indonésiens

Face à ces difficultés et pour sensibiliser davantage le public vis-à-vis de la RAM, l’OMSA a organisé une formation média en mai 2023. Environ 40 journalistes ont participé à cette première édition qui s’est déroulée à Jakarta dans le cadre du projet MPTF, en coopération avec la plus grande association indonésienne de journalistes indépendants (AJI). La quasi-totalité des participants ont admis leur manque de connaissances ou leur méconnaissance totale des problématiques liées à la RAM. Cependant, ils ont unanimement reconnu le succès potentiel de communiquer sur la RAM, ce qui explique que peu après la formation, des journalistes ont publié des articles, y compris au sein de grands médias.

Une seconde session de formation a été organisée à Surabaya, la principale ville de la province indonésienne de Java orientale, afin que les journalistes établis au niveau régional soient aussi informés. Ces professionnels sont généralement confrontés à de multiples difficultés en termes d’accès à l’information en raison de ressources limitées, ce qui ne permet pas d’aborder des sujets scientifiques. En raison de ces contraintes qui sont courantes au niveau provincial, la RAM n’a pas fait l’objet d’une couverture adéquate, voire aucune, malgré la présence d’un grand nombre d’élevages de volailles, ce qui justifie de sensibiliser les acteurs locaux du secteur agricole. Le contexte socio-économique encourage également à accroître la visibilité de la RAM, puisque la consommation de poulet est très élevée dans cette région et est même en augmentation.

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Un groupe de journalistes lors d’une formation aux médias organisée par l’OMSA à Surabaya, en Indonésie. ©l’OMSA/M. Yulianus Andre Yuris

Journalisme scientifique : une approche rigoureuse nécessaire

La seconde formation a été suivie par 42 journalistes, occupant des fonctions diverses au sein des médias : reporters, directeurs généraux, créateurs de contenus et rédacteurs en chef. Cette formation a été organisée le 11 novembre 2023, soit une semaine avant le lancement de la Semaine mondiale de sensibilisation à la RAM, afin d’encourager des publications au cours de cette période. La session a débuté par une vue d’ensemble de la situation en prenant en compte le contexte spécifique de l’Indonésie, puis les intervenants ont abordé l’approche « Une seule santé », reconnue nécessaire pour lutter efficacement contre cette menace. Une journaliste de grande notoriété a également décrit la méthodologie pour rapporter des faits de nature scientifique, en soulignant des principes clés :

  • Précision : les informations scientifiques doivent être communiquées sans modifier les conclusions ou en déformer le travail de recherche.
  • Clarté : les contenus de nature scientifique doivent être clairs et compréhensibles pour permettre au grand public de se forger une opinion.
  • Pertinence : les données scientifiques doivent être liées à des expériences quotidiennes afin de rendre l’information la plus attractive et intéressante possible.

Au cours de la pandémie de COVID-19, des médias indonésiens ont relayé des informations qui n’étaient pas toujours basées sur des preuves scientifiques, ce qui a induit le grand public en erreur. Pour éviter une situation similaire, il a été recommandé aux journalistes de toujours vérifier les informations en consultant des revues académiques, en interrogeant plusieurs experts et, en cas d’analyses contradictoires, de présenter les faits dans leur ensemble pour permettre au public de se forger sa propre opinion.

Les intervenants ont également abordé les raisons qui expliqueraient des comportements et des usages préjudiciables, surtout concernant l’utilisation d’antibiotiques en Indonésie. Ils ont également souligné qu’il n’existe pas de solution facile et qu’aucun secteur ou acteur ne doit être incriminé. Pour réduire efficacement la RAM, il faut que les différentes parties prenantes, y compris les consommateurs et les propriétaires d’animaux de compagnie, modifient leurs attitudes, d’où le rôle clé des médias.

Publications sur la RAM auprès de médias provinciaux et locaux

Les résultats de la formation ont été évalués à la suite d’une veille média réalisée par AJI afin de mieux comprendre comment les journalistes en ont bénéficié. Les conclusions sont encourageantes puisque plus de 250 publications ou messages sur la résistance aux antimicrobiens ont été diffusés dans les médias (télévision, journaux en ligne, radio, etc.).

Comme le démontrent les résultats de cette formation pilotée par l’OMSA, la mobilisation des médias demande des efforts considérables, mais elle permet néanmoins de sensibiliser des publics non spécialistes sur une utilisation responsable des antimicrobiens. Cela permet de rendre plus visible cette « pandémie silencieuse », qui est déjà responsable de la perte de plus de 4 millions de vies humaines chaque année.